Texte de Catherine Richardson/Kinewesquao, porte-parole en Affaire Autochtones.
Dernièrement, une pièce de théâtre poignante était à l’affiche du centre Segal, abordant le sujet puissant de la résistance des enfants face à l’oppression et à la maltraitance exercées au sein d’un pensionnat indien en Ontario. La réalité qui y fut présentée, celle de l’internement de plus de 150 000 enfants autochtones, fut pour beaucoup une découverte brutale auparavant ignorée. Les activistes Vicky Boldo, Nakuset et moi-même avons travaillé au théâtre pour offrir un support émotionnel et pour faciliter la conversation difficile qui a suivi. La question principale que nous avons posé au public était la suivante: “maintenant que vous êtes conscients de l’existence de cette histoire tragique, que pouvez-vous faire?”
Laissez-moi tout d’abord contextualiser pour vous cette politique massive de destruction des familles autochtones. La séparation forcée par la loi des enfants autochtones et de leurs parents fut une stratégie brutale et violente parmis tant d’autres pour réprimer la résistance des communautés autochtones. Résistance à quoi? Au vol pur et simple de leurs terres, à la réduction de leurs territoires traditionnels, au développement de réserves et au développement du secteur minier sur leurs terres. Et là où les pensionnats autochtones n’ont pas interféré, la rafle des années soixante a pris le relai.
Le gouvernement Canadien avait implémenté la loi sur les Indiens en 1876, qui donnait au gouvernement et à ses ministres un pouvoir et contrôle sans limites sur pratiquement tous les aspects de la vie autochtone. C’était, et cela demeure, un projet de loi relevant de l’apartheid conçu pour faciliter le “transfert” des terres et de toutes les ressources (minérales, pétrolières et soi-disant “immobilières”) dans les mains du gouvernement, des sociétés foncières et par la suite des colons Européens. Afin d’implémenter ce vol d’ampleur massive, le gouvernement s’est appuyé sur des mythes et stéréotypes proclamant la soi-disant supériorité des européens et l’infériorité des peuples autochtones, justifiant leur génocide à travers un discours “d’intentions bienveillantes chrétiennes”.
En enlevant leurs enfants, beaucoup de communautés autochtones ont été entièrement détruites. Le gouvernement mentait aux familles et emprisonnait les parents quand ces derniers tentaient de l’empêcher. Le Canada a tenté de détruire tout ce qui était sacré aux yeux des communautés autochtones. Et suite à la souffrance déchirante que cette expérience systémique d’enlèvement a causé, l’alcool a été introduit dans leurs communautés afin de d’accélérer la dégradation de leur tissu social.
Il y eu plusieurs amendements à la loi sur les Indiens. D’abord, en 1936, l’autorité sur les peuples autochtones a été transférée du ministère de l’intérieur au département des terres, mines et ressources, démontrant le pouvoir et l’influence des industries extractives sur les politiques de destruction des terres et cultures autochtones.
En apprenant l’arrivée d’un accord par traité des Prairies, deux banquiers fondèrent l’entreprise Saskatchewan Valley Land Corporation. Cette dernière exploita les terres volées de la Prairie en les rachetant pour les revendre; l’opération fut extrêmement lucrative. Ironiquement, cette terre autochtone était dite “cédée”. Plus d’informations sur cette histoire peut-être trouvée dans l’ouvrage nommé “Merchant Prince: The Story of Alexander Duncan McRae.”(O’Keefe & MacDonald, 2001).
Avec l’argent amassé de ce vol des terres, les deux banquiers devinrent deux industriels puissants à l’origine de l’exploitation forestière sur la côte ouest du Canada, ainsi que des industries minières et de pêche. Ce livre est une oeuvre sans scrupules de discours colonial, présentant les prairies comme des terres inhabitées (mes propres ancêtres y habitaient). Aucune mention réelle n’est faite des peuples autochtones, de la violence coloniale ou des pratiques génocidaires. Cependant, une chose que le livre n’oublie pas de mentionner est le fait que 90% du conseil d’administration était composé de membres du parlement Canadien.
Dans le contexte du Québec, 11 pensionnats indiens ont pu être identifiés sur le territoire (voir la carte https://www.pressreader.com/). Il est important de noter que le terme même de “pensionnat indien” est issu du discours colonial et qu’en réalité, celui de “camps de prisonniers pour enfants autochtones” correspond plus précisément. Le taux de mortalité y dépassait les 60%. Dans une correspondance tristement célèbre entre le député surintendant du département des affaires indiennes Duncan Campbell et le médecin chef Dr. Peter Bryce, le second informa le premier que plus de 60% des enfants étaient en train de mourir et demanda à ce que les pensionnats soient fermés. Scott répondu alors que le projet ne se terminerait pas tant qu’il resterait des indiens sur le territoire Canadien. Le chercheur Kevin Annett découvrit des documents d’archives indiquant que les enfants en bonne santé étaient placés aux côtés des enfants souffrant de tuberculose, une mesure qui constitue un acte de génocide. La plupart de ces pensionnats possèdent des tombes anonymes sous leurs sols, remplies de dépouilles d’enfants qui y moururent, qui y furent tués ou encore de nouveaux nés conçus lors d’agressions sexuelles au sein des murs de ces institutions.
Même quand le Canada tente des réparations, tel que le Paiement d’expérience commune et le Processus d’évaluation, aucune reconnaissance n’est donné à la souffrance subit par les parents au travers de cette expérience. Cela relève peut-être du sentiment Canadien que ce sont “nos enfants autochtones” et que, comme aujourd’hui au sein du système de sécurité sociale pour nos enfants, les parents sont considérés comme remplaçables. Après plusieurs années passées à travailler au centre Yukon à titre de conseillère communautaire, j’ai pu constater de mes propres yeux que que beaucoup de personnes âgées meurent avant même d’avoir reçu quelconque forme de compensation ou de réparation pour les pertes et abus endurés au travers des actions du gouvernement et de ses employés. Leur souffrance fut sans limites. Et non, nous ne faisions pas du mieux possible pour l’époque compte tenu de nos habiletés et connaissances. Au contraire. Le Royaume-Uni et les autres puissances coloniales ont colonisé la planète à travers la violence, le meurtre, le génocide et la destruction; il est par exemple estimé que le Royaume-Uni doit l’équivalent de 45 milliards de livres à l’Inde (voir la source ci-dessous).
Le principal à comprendre de la violence coloniale Canadienne et de la loi sur les Indiens est qu’elle existe encore, et que plus les communautés autochtones résistent face à leur oppression, plus le gouvernement doit peaufiner son approche de tactiques clandestines de vol des terres. Nous constatons ceci à travers la répression des manifestations vis-à-vis de l’expansion de l’industrie du pétrole et des gaz sur les terres autochtones. À l’apogée de l’ère des pensionnats indiens, il y avait un total de 80 écoles opérant sur le territoire. Il y eu un total de 130 écoles dans tous les territoires et provinces, à l’exception de Terre-Neuve, l’Île Prince Édouard et le Nouveau Brunswick, entre le début du 19ème siècle et la fin du 20ème, la dernière école ayant fermé en 1996. Cependant, encore aujourd’hui, des étudiants autochtones sont enlevés de leurs communautés et placés en résidences pour que ces derniers puissent avoir accès à une éducation secondaire. Cette pratique a lieu sur plusieurs territoires des régions nordiques, notamment à Thunder Bay, et sont dangereuses; les corps de beaucoup de jeunes autochtones y ont été retrouvés noyés dans les rivières. La police ne s’est aucunement préoccupée de ces décès (voir la source ci-dessous). Le plus important à noter est que ce “déplacement” des terres est étroitement lié à l’extraction des mines et du pétrole. Les oléoducs, les décharges de déchets toxiques et les bassins de décantation ont tendances à être situés à l’intérieur ou proche des communautés autochtones (voir la source ci-dessous). Ma propre famille a été exposée aux radiations d’Uranium City, pendant la guerre froide. Sans parler des problèmes de santé collective. Le premier ministre Lester B. Pearson lui-même approuva l’extraction en masse dans le nord de la Saskatchewan, où un tiers de l’uranium au monde alimenta la première guerre mondiale. Le matériel utilisé pour les bombes que les US lancèrent sur Hiroshima et Nagasaki fut extrait à proximité de Delane, dans les territoires nord-ouest. À Delane, tous les travailleurs autochtones de l’industrie moururent après qu’on leur ai menti au sujet de leur sécurité (voir le film NFB, The Village of Windows).
Donc comment l’atteinte à l’environnement des communautés autochtones perpétuée aujourd’hui est-elle liée aux enfants autochtones et aux pensionnats indiens? L’Eglise fournissait à l’État un moyen d’éradiquer les individus et communautés autochtones. Très peu des prêtres et bonnes soeurs coupables de crimes contre les enfants ont été condamné-es en justice; pourtant, si ces crimes avaient été perpétrés contre des enfants blancs de classe moyenne avec des parents influents, il en serait sûrement autrement. Aujourd’hui, l’État providence remplit le rôle autrefois occupé par les pensionnats indiens; 60% des enfants pris en charge par le gouvernement sont autochtones dans multiples provinces. Le Québec possède les pratiques les moins progressives du Canada en terme de suivi des recommandations des chercheurs spécialisés dans la matière. Et toutes ces pratiques subies par les peuples autochtones, en détruisant chaque dimension de leurs communautés, ont permis le développement actuel des oléoducs, malgré la recherche des scientifiques en réchauffement climatique qui nous avertissent depuis des décennies d’arrêter l’extraction.
Dernièrement, le membre du parlement Romeo Saganish a accusé le premier ministre Justin Trudeau “d’en avoir rien à foutre de nous”. Qu’il ait tort ou raison, beaucoup de Canadiens, M. Trudeau inclus, ne semblent pas comprendre qu’être poli avec quelques individus autochtones ne compense pas les actions et l’inaction qui laissent intacte la violence structurelle et le racisme qui paralyse et désavantage les autochtones dans leurs efforts d’autodétermination. Aujourd’hui, il semble que nous sommes incapables d’empêcher les promoteurs de s’installer à Kanesetake (voir Ellen Gabriel ci-dessous). Nous sommes incapables de faire face à la violence sexuelle des policiers de Val d’Or subies par les femmes autochtones. Au Canada, le taux de poursuites pour les agressions sexuelles subies par les femmes est inférieur à 1%. Et non seulement sommes nous aussi apparemment incapables de lutter contre le développement de l’industrie de l’énergie fossile, mais en plus nous le perpétuons activement. Et surtout ne me lancez pas sur le sujet des 3000 femmes autochtones assassinées et disparues et l’apparente impunité dont jouissent leurs assassins (qui sont les responsables?). En tant que Parti Vert du Québec, notre rôle est de protéger la terre et de s’aligner avec les communautés autochtones capables de guider l’intendance de leurs terres et l’avancement de l’industrie éthique.
Ainsi, au centre Segal et à la troupe d’acteurs et actrices de “Children of God”, je dis merci. Merci d’avoir laissé vos coeurs s’ouvrir, spectacle après spectacle, pendant trois semaines entières, pour la tâche ingrate et difficile qu’est l’éducation des colons. Un jour, les choses changeront, grâce aux initiatives comme les vôtres.
Ce texte a été rédigé sur la terre de Kanien’kehà:ka, en Tiohtiá:ke.
Catherine Richardson/Kinewesquao
Porte-parole en Affaire Autochtones
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