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Nos étudiant-e-s, ainsi que les écologistes parmi nous, nous poussent avec de plus en plus d’insistance à prioriser des mesures pour combattre les changements climatiques. Mais comme toutes les institutions, qui sont de par leur nature plutôt immuable, les collèges auront de la difficulté à prendre ce virage, même si le sentiment d’urgence est partagé par une majorité d’entre nous. Par quel bout prendre le problème?
On a souvent l’impression que ce type de responsabilité repose essentiellement sur les épaules des enseignant.e.s individuellement ; ce serait donc à chaque enseignant.e d’adapter sa pédagogie pour intégrer cette préoccupation dans son enseignement. Selon cette logique, les collèges arriveront à prendre le virage vert si chaque prof porte une partie du fardeau. Ce n’est peut-être pas totalement faux mais c’est loin d’être adéquat.
À mon sens, il y a une autre façon de concevoir le défi, car la pédagogie n’est pas seulement l’affaire des enseignant.e.s –une véritable pédagogie institutionnelle pourrait et devrait exister et être entièrement assumée. Cette pédagogie institutionnelle pourrait jouer un rôle essentiel dans la formation de nos étudiant.e.s., peut-être surtout dans la conjoncture actuelle. Si l’on veut prendre au sérieux le défi des changements climatiques, nos institutions d’enseignement se doivent d’être les moteurs du virement social qui sera nécessaire.
La première étape dans l’élaboration de cette pédagogie institutionnelle pourrait s’inspirer de notre façon d’élaborer des programmes au collégial. Commençons avec un profil de sortie : de quoi l’étudiant aura-t-il l’air en quittant non seulement un de nos programmes mais notre collège? J’imagine que c’est une question que les anciens collèges classiques pouvaient et même avaient le devoir de se poser mais qui a été abandonnée, fort probablement au nom de la neutralité de l’État. Confronté à l’urgence d’agir aujourd’hui, on devrait songer à la ré-légitimer.
En voici quelques possibilités, idéalistes probablement, teintées idéologiquement sûrement, ridicules possiblement, mais qui constituent néanmoins une tentative de tracer le profil des jeunes personnes qui seront capables de trouver leur place dans le monde qui s’en vient inexorablement. Il ne s’agit pas de contraintes, évidemment, mais plutôt de qualités, d’attitudes et de capacités à favoriser.
À la fin de son passage au cégep, l’étudiant.e :
- respectera la dignité intrinsèque de tous les êtres humains et de tous les êtres vivants;
- sera pleinement conscient.e que son propre bien-être et le bien-être de tous les êtres humains dépendent du milieu naturel dans lequel ils évoluent;
- sera résilient.e physiquement et mentalement, capable de s’adapter à un milieu naturel et social en mutation, peut-être même en profonde mutation;
- contribuera activement à chercher des solutions et à aider les victimes plutôt que de se décourager quand ces mutations entraînent de la souffrance personnelle ou collective;
- sera fier.ère de contribuer à réduire et à maintenir le niveau de consommation de sa société afin que son empreinte écologique tende vers zéro;
- favorisera l’élaboration de politiques qui aident à faire réaliser l’objectif d’empreinte écologique zéro et sera prêt.e à aider ses concitoyen.ne.s à atteindre ce but collectivement et individuellement;
- trouvera son bonheur dans la vie et dans le travail en harmonie avec ses semblables, dans l’appréciation des biens culturels, comme les arts et les sports, et dans la beauté de la nature plutôt que de mesurer sa valeur par l’accumulation de biens matériels;
- contribuera à accueillir les gens venant d’ailleurs avec bonheur, confiant.e que la société dont il ou elle fait partie gagnera à les connaître et convaincu.e que sa culture a la capacité de les intégrer harmonieusement;
- sera capable d’enraciner son identité dans une trajectoire socio-historique qui lui est propre mais qui tient compte de la légitime multiplicité de ces trajectoires dans le monde;
- aura la capacité de résister aux tentatives de manipulation exercées par des forces extérieures et intérieures qui cherchent à lui faire dévier de ces objectifs.
La conjoncture politique et sociale ne favorise pas ce genre de proposition, j’en suis bien conscient. Et malheureusement, l’obsession des « plans stratégiques » monopolise et canalise les efforts institutionnels vers des catégories qui semblent plaire énormément aux gestionnaires mais qui se fossilisent rapidement, parlent peu aux pédagogues et encore moins aux jeunes. C’est dommage. On sait qu’il nous faut un changement de paradigme—si ça ne commence pas dans les milieux d’enseignement supérieur, ça commence où ?