Catherine Richardson
Montréal, le 14 février 2020– Récemment, le Centre Segal des arts de la scène a présenté une pièce de théâtre puissante et poignante au sujet de la résistance des enfants à l’oppression et aux mauvais traitements qui leurs étaient infligés au sein d’un pensionnat de l’Ontario.
Le fait que le Canada ait interné plus de 150 000 enfants autochtones a stupéfié les spectateurs. Les militantes Vicky Boldo, Nakuset et Catherine Richardson, à titre de porte-paroles du dossier Affaires Autochtones pour le Parti Vert du Québec, ont travaillé au théâtre en offrant au public un soutien émotionnel et en facilitant les échanges. La question posée aux spectateurs était la suivante : « Maintenant que vous avez entendu cette histoire, que comptez-vous faire ? ”
Permettez-moi de situer le contexte de cette politique de destruction massive des familles. La séparation forcée et légale des enfants autochtones de leurs parents n’était qu’une des nombreuses stratégies brutales et violentes visant à réprimer la résistance dans les communautés autochtones. La résistance était bien sûr, en réponse aux vols de terres, à la réduction de territoires traditionnels, à l’aménagement de réserves et au développement de l’exploitation minière sur les terres autochtones. La rafle des années soixante n’aura servi qu’à perpétrer l’oeuvre entamée par le gouvernement au sein des pensionnats autochtones.
En 1876, le gouvernement canadien a mis en œuvre la Loi sur les Indiens, qui donnait au gouvernement et à ses Ministres le pouvoir et le contrôle sur tous les aspects de la vie autochtone. C’était et c’est toujours une loi semblable à l’apartheid, conçue pour faciliter le « transfert » des terres et de toutes les ressources (minéraux, pierres précieuses, combustibles fossiles et ce qu’on appelle « l’immobilier’) entre les mains du gouvernement, des sociétés foncières, puis des colons européens. Pour commettre ce vol massif de terres, le gouvernement s’est appuyé sur des mythes et des stéréotypes sur la supériorité des Européens et l’infériorité des peuples autochtones; il s’est appuyé sur l’idée d’une intention chrétienne bienveillante afin de justifier un génocide.
Bien sûr, de nombreuses communautés autochtones ont été pratiquement détruites lorsque les enfants ont été enlevés. On mentait aux familles et des parents furent emprisonnés pour avoir tenté de mettre fin aux enlèvements. Le Canada a tenté de détruire tout ce qui était cher aux familles autochtones. Après la douleur intense causée par l’enlèvement de leurs enfants, une fois qu’ils étaient âgés d’au moins quatre ans, l’alcool fut introduit afin de faciliter l’effondrement des sociétés autochtones. En ce qui concerne la Loi sur les Indiens, des amendements furent introduits. En 1936, la responsabilité des peuples autochtones fut transférée du Ministère de l’Intérieur au Ministère des Terres, des Mines et des Ressources, ce qui démontre l’influence des industries extractives sur les décisions politiques et sur la destruction de la Terre et des cultures.
En apprenant qu’un traité allait bientôt être conclu dans les prairies, deux banquiers ont créé la Saskatchewan Valley Land Corporation. Cette compagnie était prête à faire des profits, où elle a acheté les terres récemment volées, les a transformées et est devenue incroyablement riche. Ironiquement, cette terre autochtone a été appelée « Surrenders », soit la capitulation.. On peut retracer cette histoire dans un livre intitulé « Merchant Prince : The Story of Alexander Duncan McRae » (O’Keefe et MacDonald, 2001). Avec l’argent du vol de terres, ces deux banquiers sont devenus des industriels qui ont introduit l’industrie forestière sur la côte ouest du Canada, ainsi que l’exploitation minière et la pêche. Ce livre est un discours colonial sans complaisance, présentant les prairies comme étant dépourvues d’habitants, alors que ma famille y habitait. Aucune mention n’est faite des peuples autochtones, de la violence coloniale et des pratiques génocidaires. Cependant, il souligne que 90 % des membres du conseil d’administration de la Saskatchewan Valley Land Company étaient des membres du Parlement canadien.
Au niveau du Québec, 11 pensionnats ont été mis en place. D’ailleurs, le terme « pensionnat » est un artefact du discours colonial. Il serait plus juste de les renommer comme étant des « camps de prisons pour enfants autochtones ».
À la grande honte du Canada, certains de ces établissements avaient un taux de mortalité de plus de 60%. Il y a une interaction tristement célèbre durant laquelle le surintendant adjoint du ministère des Affaires indiennes, Duncan Campbell Scott, est informé par le médecin en chef, le Dr Peter Bryce, que plus de 60% de ces enfants sont en train de mourir. Il exige que les écoles soient fermées. Scott répond que le projet ne sera pas terminé tant qu’il n’y aura plus d’Indiens au Canada. Le chercheur Kevin Annett a d’ailleurs découvert des documents d’archives qui montrent des enfants en santé placés à côté d’enfants atteints de tuberculose, ce qui représente un acte génocidaire. Bon nombre de ces pensionnats ont des tombes sans nom sous leur plancher, où reposent les restes d’enfants tués et de bébés conçus à la suite d’agressions sexuelles sur mineures.
Même lorsque le Canada pense à offrir des réparations, notamment par le biais du Paiement d’expérience commune, on ne reconnaît pas la souffrance des parents, des mères qui sont passées au travers d’une épreuve extrêmement difficile. Cela est peut-être dû au fait que le Canada considère qu’il s’agit de « ses enfants autochtones » et que, comme c’est le cas dans le système de protection de l’enfance, les parents sont considérés comme des entités remplaçables. Après avoir travaillé pendant des années au Yukon comme conseillère communautaire, j’ai constaté que de nombreux aînés sont morts avant même d’avoir reçu une quelconque réparation. Ne serait-ce qu’une indemnisation en ce qui concerne les pertes et abus subis aux mains du gouvernement et de ses employés religieux. Leurs souffrances ont été énormes. Et non, nous n’avons pas fait de notre mieux avec les moyens que nous avions à cette époque. Tout au contraire. La Grande-Bretagne et d’autres puissances impériales ont colonisé la planète, et le meurtre et la destruction étaient apparents. Il a été noté que la Grande-Bretagne doit probablement à l’Inde l’équivalent de 45 trillions de livres.
Les principales choses à savoir sur la violence coloniale du Canada et la Loi sur les Indiens sont les suivantes : les peuples autochtones résistent à leur oppression, ce qui signifie que le gouvernement doit devenir plus habile et faire preuve de discrétion dans son approche pour le vol de terres. Ceci est observable à travers la répression des protestations relatives à l’expansion pétrolière et gazière sur les terres autochtones. Au plus fort de l’ère des pensionnats, il y avait environ 80 écoles en activité au Canada. Au total, il y avait environ 130 écoles dans chaque territoire et province, sauf à Terre-Neuve, à l’Île-du-Prince-Édouard et au Nouveau-Brunswick, à partir du XIXe siècle jusqu’au dernier qui ferma en 1996. Cependant, l’enlèvement des élèves autochtones, qui se voient retirer de leurs communautés et installer dans des pensionnats au sein desquels ils reçoivent une éducation secondaire, se poursuit dans de nombreuses localités du Nord (Nord de l’Ontario ou les enfants déplacés vers Thunder Bay). Ces pratiques sont dangereuses et à Thunder Bay, il a été révélé que les corps de nombreux jeunes indigènes sont retrouvés sans vie, dans la rivière.
La chose la plus importante à noter est que peut-être que « le déblaiement de ces terres » sont tous liés à l’exploitation minière et à l’extraction de combustibles fossiles. Les pipelines, les décharges de déchets toxiques et les bassins de décantation sont généralement situés dans les communautés autochtones ou à proximité. Ma propre famille a été exposée aux radiations à Uranium City, pendant la guerre froide. Je n’ai pas besoin d’évoquer nos problèmes de santé collective… Le premier ministre Lester B. Pearson a approuvé l’extraction massive dans le nord de la Saskatchewan, où le tiers des ressources mondiale en uranium ont alimenté la guerre froide. Le matériel qui a servi à la confection des bombes que les États-Unis ont largué sur Hiroshima et Nagasaki provenait tout près de Delane, dans les territoires du Nord-Ouest. À Delane, tous les hommes issus de la communauté des Premières Nations et qui travaillaient pour la compagnie sont morts, car la vérité leur a été cachée sur les enjeux de sécurité auxquels ils faisaient face. (Voir le film de l’ONF: Le village des veuves).
Alors, quel est le lien entre les enfants autochtones et les pensionnats ? Les églises jouaient un rôle pour l’État dans la tentative de destruction des individus et des communautés. Il y a peu de prêtres et de religieuses en prison aujourd’hui pour des crimes commis contre des enfants, des crimes qui seraient sûrement punis s’ils avaient été commis sur des enfants blancs issus de la classe moyenne, dotés des parents puissants.
Aujourd’hui, la protection de l’enfance remplit le rôle du pensionnat, les familles autochtones étant ciblées ; plus de 60 % des enfants pris en charge par le gouvernement sont d’origine autochtone dans de nombreuses provinces. Le Québec a incorporé certaines des pratiques les moins progressistes au Canada en ce qui concerne le suivi des recommandations émises par les chercheurs en protection de l’enfance. L’attaque perpétuelle des familles autochtones à travers la planète continue d’être un outil qui garantit la dangereuse prolifération des pipelines, en dépit des recherches scientifiques sur les changements climatiques qui nous avertissent que nous devons garder les combustibles fossiles dans les sols.
Récemment, le député Romeo Saganash a accusé le premier ministre Trudeau de « ne pas se soucier de nous ». Que cela puisse être vrai ou non, de nombreux Canadiens, y compris M. Trudeau, croient à tort qu’il est possible d’être bienveillant envers quelques Autochtones en particulier, tout en laissant intacts la violence structurelle et le racisme qui inhibent et désavantagent les Autochtones dans leurs efforts pour vivre et s’autodéterminer. D’ailleurs, les institutions coloniales nous nuisent et nous limitent encore, et ce, souvent par le racisme, qu’il s’agisse de la police, de la protection de l’enfance, du Service correctionnel du Canada, du système scolaire public, ou autres.
Aujourd’hui, il semble que nous ne puissions pas garder les promoteurs hors de la région de Kanesetake. Nous ne pouvons pas parler des actes de violences sexuelles sur les femmes autochtones commis par la police de Val D’Or. Au Canada, le taux de poursuite pour agression sexuelle envers les femmes est inférieur à 1 %. De plus, le Canada n’a pas la volonté politique de réduire le développement des combustibles fossiles. Et, je préfère m’abstenir au sujet des plus de 3 000 femmes autochtones assassinées et disparues et de l’impunité apparente des tueurs. En tant que Parti Vert du Québec, nous devons protéger la terre et nous aligner avec les communautés autochtones qui peuvent prendre l’initiative de la gestion des terres et de l’avancement de l’industrie éthique.
Alors, au Centre Segal et à la troupe des » Enfants de Dieu « , merci d’avoir laissé vos cœurs s’ouvrir, à chaque représentation, pendant trois semaines, avec pour responsabilité l’ingrate tâche de nous éduquer sur les colons. Cela fera une différence, en fin de compte.
Cette pièce a été écrite sur les terres des Kanien’kehà:ka, à Tiohtiá:ke.
Catherine Richardson/Kinewesquao
[simple-author-box]