Jeanne Decat
Il y a dix ans aujourd’hui, j’ai été arrêté lors d’une manifestation étudiante contre les frais de scolarité en vertu de la loi spéciale anti-manifestation qui a depuis été invalidée par les tribunaux.
Le 22 mai 2012, la plus grande journée de désobéissance civile de l’histoire du Canada a eu lieu. Des dizaines de milliers d’étudiants et d’alliés ont défié la nouvelle loi anti-manifestation qui obligeait les organisateurs à soumettre le trajet de toute manifestation ou rassemblement de 50 personnes ou plus à la police au moins 8 heures à l’avance pour approbation, ce qui constituait une atteinte majeure à nos droits constitutionnels de rassemblement pacifique.
Cette loi a été conçue pour réprimer les manifestations contre la hausse des frais de scolarité menées par les jeunes. C’était une façon de réprimer l’activisme de gauche en supprimant nos droits constitutionnels, en nous intimidant avec la police anti-émeute, en nous donnant des contraventions et en traumatisant de nombreuses personnes. En fin de compte, les tribunaux ont jugé que ces lois étaient inconstitutionnelles et la contravention de 634 $ que j’ai reçue a été annulée.
Lors de cette arrestation, j’ai rapidement été entouré par des dizaines de policiers anti-émeute qui étaient sortis des minibus juste devant moi. Ils m’ont crié de me mettre à terre, ce que j’ai fait. Ils nous ont emmenés dans une ruelle sombre où nous avons été retenus d’abord par la police anti-émeute en tenue de combat, puis par la police ordinaire, pendant plus d’une heure, sans nous lire nos droits ni nous dire pourquoi nous étions arrêtés. Pendant ce temps, les officiers nous ont activement intimidés et menacés. Une jeune femme de 18 ans assise à côté de moi a fait une véritable crise de panique alors que les officiers devenaient de plus en plus intimidants. Cette jeune femme n’était même pas impliquée dans la manifestation, mais elle a quand même été arrêtée et menottée puisque ces arrestations étaient totalement arbitraires et illégales.
Après avoir été retenus dans l’allée, nous avons été fouillés de manière invasive et embarqués dans un bus où, après deux heures de détention et plus d’une heure de menottage dans le dos, ils nous ont finalement lu nos droits. On nous a ensuite emmenés à l’autre bout de la ville jusqu’à leur centre de commandement le plus éloigné possible, où nous avons attendu, menottés et sans accès aux toilettes ou à l’eau pendant des heures, pendant qu’ils traitaient chaque personne une par une. Lorsque mon tour est arrivé, ils m’ont conduit dans un garage de stationnement, m’ont demandé quelle école je fréquentais, ils ont pris ma photo d’identité et m’ont laissé partir avec une contravention de 643 $ pour une infraction municipale (et non criminelle). Lorsque nous sommes sortis, il était 4h30 du matin et le métro et les bus étaient fermés. Nous avons été retenus pendant plus de cinq heures et pendant environ quatre heures d’affilée, nous avons été menottés derrière le dos.
Presque tout le monde a contesté les contraventions qu’ils nous ont données, cette nuit-là et lors d’innombrables autres arrestations de groupe. Cela a engorgé les tribunaux. On nous a donné des rendez-vous au tribunal alors que nous étions littéralement 60 co-accusés dans la salle. Dans certains cas, nos co-accusés n’avaient même pas été arrêtés au même endroit. Nous avons dû nous rendre au tribunal plusieurs fois avant que le procès ne commence enfin. Au cours de la première journée du procès, les procureurs ont fait témoigner un commandant de police. Il a raconté les événements qui se sont déroulés au centre-ville de Montréal ce soir-là, sans fournir aucune preuve que les personnes arrêtées étaient responsables de vandalisme ou de quoi que ce soit d’autre. J’ai pu le contre-interroger. Lorsque je lui ai demandé s’il reconnaissait l’un des accusés ou s’il était présent au moment de l’arrestation, il a répondu non. C’était une expérience très instructive et quelque peu surréaliste. Après le premier jour du procès, un précédent juridique a été créé dans une cause similaire et la ville de Montréal a été forcée de rejeter toutes nos contraventions. La loi en question a ensuite été déclarée inconstitutionnelle, puis abrogée.
Cette arrestation a eu lieu 16 mois seulement avant mon élection à la tête du Parti vert et quatre mois seulement avant ma première campagne en tant que candidat du parti. Cette soirée ainsi que le mouvement étudiant lui-même ont marqué le debut de mon engagement en politique québécoise. Le mouvement a été un succès puisque le gouvernement libéral de Jean Charest a été forcé de démissionner un an avant la fin de son mandat majoritaire. J’ai été heureux de me présenter à cette élection en tant que candidat du Parti Vert ou j’ai eu la chance de m’en prendre au ministre contre qui je me présentait savoir a quelle point les gestes de son gouvernement etait honteux. Après la défaite des libéraux lors de cette election, le nouveau gouvernement péquiste a annulé la hausse des frais de scolarité et a même remboursé les frais de scolarité supplémentaires que les gens avaient payés. C’était une énorme victoire ! Grâce à ce mouvement et aux mouvements étudiants précédents au Québec, nous avons réussi à maintenir les frais de scolarité à un niveau très bas. Cela montre ce que les gens peuvent accomplir si nous agissons et protestons.
Bien que le PQ ait annulé l’augmentation des frais de scolarité, il a maintenu certaines lois anti-manifestation. L’année suivante, de nombreux étudiants, dont moi-même, descendent à nouveau dans la rue pour lutter contre les coupures dans l’éducation et pour réclamer l’élimination de tous les frais de scolarité. Leur réponse à cette résurgence du mouvement a été d’abord d’arrêter encore plus de personnes. Parfois, des centaines de personnes ont été rassemblées sur les places de la ville et menottées, comme j’ai moi-même vecu. En fait, j’ai été encerclé et arrêté une deuxième fois en 2013. Une fois les lois anti-manifestation invalidées par les tribunaux, la police est devenue de plus en plus violente et a utilisé des matraques au lieu d’arrestations collectives pour réprimer les manifestations. Il est malheureux qu’un si grand nombre de jeunes, dont moi-même, ont dû constater à quel point nos libertés peuvent être limitées dans ce pays. Même l’ONU a critiqué la police de Montréal pour les arrestations massives de manifestants pacifiques qu’elle a effectuées.
Une chose est sûre, lorsque les jeunes descendent dans la rue pour protester contre le capitalisme et les politiques néolibérales, les choses peuvent changer. Ce n’est pas facile, mais les choses peuvent changer. Lors de cette élection, je réclamerai que le gouvernement du Québec indemnise enfin tous les étudiants et alliés qui ont été arrêtés illégalement lors des mouvements étudiants de 2012 et 2013, car la plupart d’entre nous n’ont pas pu faire valoir nos droits auprès des tribunaux à l’époque.
Nous devons continuer la lutte pour l’éducation publique et l’environnement.
En solidarité,
Alex Tyrrell
Chef du Parti Vert du Québec